Il était une fois.

Publié par Marie Dominique LUCIANI

 Essais 

Son sourire l’inondait ; de son regard fixé dans ses yeux éperdus elle a su retenir les mots qu’ils évoquaient sans un bruit, seul l’effeuillement de cet instant qui s’attarde à passer. Emotions tendres et délicates dans l’attente de la ferveur des chairs partagées.

 

 

J’aurais aimé entendre ta voix, te voir. Le temps vide de toi, est long à partager ; j’ai tant à te dire. Te dire ces moments fragiles, lumineux d’espérances et forts de bonheurs.

 

Des regards échangés chargés d’amour et de tendresse, des instants de bonheurs doux et fragiles comme une aurore printanière. La vie s’offrait à nous d’un ciel sans nuage ; les montagnes environnantes protégeaient nos ébats amoureux quand notre complicité se faisait vivante de caresses. Nous nous donnions l’un à l’autre simplement sans détours, par amour, d’un amour semblable à la rosée effleurant l’iris avide de soleil. Sonnent les clochers et brûle le soleil, plus rien n’existait que nous, notre union, défiant le temps et les pensées vergogneuses des médisants. Nous étions ensemble : riions ensemble, nous fondions ensemble dans les eaux fraiches de rivière, tremblions à l’unisson de la passion qui nous dépassait et nous rendait unis, unie comme la vie, unis pour la vie. Mais la vie dépasse parfois nos espoirs et trahit nos forces ; apparaissent alors nos faiblesses et nos peurs. Les brûlures de juillet de cette année-là devaient laisser en moi des cicatrices à jamais. Romain fut mon second souffle d’amour. Malgré les mois difficiles d’incompréhension et d’exclusion le printemps suivant fut pour moi une nouvelle source de bonheur.

[...]

Le port altier et fier comme les arbres de ses montagnes qu’il chevauchait avec Fascianella sa jument, il posait son regard noir et tranchant sur son monde. Romain n’avait d’amour que pour moi et sa terre ; nous deux le comprenions. Ne connaissant de toi qu’une photo qu’il avait découverte petit, rangée avec des lettres dans une boite, de l’armoire à linge dans ma chambre, il ne te pardonnait pas ton absence. L’écho des montagnes résonne encore de ses cris d’amour : « O Pà, chì m'hai fattù ? Perchè m'hai lasciatu ? Mamma é eiu senza tè, simù poche cose. » (1) . Ces soirs- là, il rentrait fourbu, triste et amer de la vie ; J’évitais alors de lui parler, comme je le faisais de plus en plus souvent, de mariage avec une jeune fille du village, de fonder une famille, même si je connaissais la réponse qu’il me faisait, toujours la même : « o Mà, lascià corre, un simù micca bè cusì ? » (2) et inlassablement je lui répondais : « je ne vais pas être toujours là, et je veux voir mes petits enfants avant de mourir ». Les semaines passaient, mais cet été là, Rosane, la jeune fille que je pressentais comme ma belle-fille ne venait plus que très rarement chez nous. J’aurais aimé en connaître la raison quand, un soir en revenant de fermer le poulailler, je l’aperçue en compagnie d’un jeune homme.

 Quelques jours passèrent lorsque je rencontrai, à la source de la Costa, Francesca venue remplir ses brocs d’eau claire et fraîche. Francesca était accompagnée d’un Monsieur qu’elle me présenta : « Dominique, tu sais le mari de ma pauvre cousine de Marseille ».

 

Dominique resta devant ce visage à l’ovale finement dessiné dont les yeux au regard chargé d’amour et de tristesse se baissèrent.

 

(1)      « Papa, qu’est-ce que tu m’as fait ? Pourquoi m’as-tu laissé ? Maman et moi sommes rien sans toi. »

(2)      « Oh mais laisser courir, nous ne sommes pas bien comme çà ? »

De retour à la maison je pensai à notre fils.

Je m’activais à la cuisine lorsque Romain entra ; nos regards, tel un miroir de leur complicité jamais défaillante, nous dirent comment la vie pouvait basculer au détour d’un chemin.

 

 

 

Le matin suivant Romain attendit que sa mère fût occupée au jardin pour aller dans sa chambre. Il prit la boite cachée derrière les draps, l’ouvrit et s’attarda sur la photo d’Alain, puis une à une, défaisant l’entement les enveloppes il se mit à lire les lettres.

 

L’histoire d’un fouillis de sentiments perdus dans un buffet de chêne sombre à l’ombre de nos mémoires.
Les orangers, fleurs d’excuses cent fois renouvelées quand la vie se fait passion.
...
Émotion partagée, à peine née, comme une rose déjà éclose, déjà fanée, sans cesse renaissante au parfum des mots posés, lus et vécus. Floraison qui transcende les sens colorés aux parfums de bleuets, mésange à l’amour printanier aux couleurs libres de leur envol. Nid de tendresses et bonheurs que nous protégions à l’été de nos vies, construit au creux de nos collines, il était notre abri loin de toute turpitude.
Nous nous sommes aimés, nous nous sommes donnés ; précieux, nos souffles offraient leurs vies à nos corps ondulants.
Mésange douce à mon cœur, que n’as-tu protégé notre amour naissant! Aurais-je du le retenir, lui interdire, l’empêcher de s’enfuir? Nul ne connaît son destin et sans doute le sien était vers ces terres lointaines. Reviendrait-il un jour? Et si cela était, comment pourrait revivre cet amour impossible?

 

De Alain à Marie

 

Ù miò cuore    Mon cœur

À miò speranza    Mon espoir

Ogni sera mi chjingu... Chaque soir je me couche

Pensendu à ù tò sgardu    Pensant à ton regard
Sognù dì à nostra storia    Rêve vrai de notre histoire
Ogni matina m’arrizzu    Chaque matin je me lève
Sperendu ù profume dì à tò pelle    Espérant le parfum de ta peau.
Ch’ùn aghju fattu dì stà a cant’à té    Que ne suis-je resté près de toi !
Sò partitu é ogje mì dumandu perché    Je suis parti et je me demande pourquoi
Luntanu, a mio vita mi parìa altrò    Ma vie semblait être ailleurs
Mà scorse è nostre sponde    Mais passées nos côtes
Crescìa in mè    Grandi en moi
L’angoscia dì à tò luntananza.    La peur de notre éloignement
Tì tengu cara    Je t’aime
ma ùn a sapìa micca    Mais ne le savais pas
Scusa mì, scusa mi d'essa statu latru di a to vita    Pardonne moi pardonne moi d’avoir volé ta vie
O Santa Regina, venite mì in aiutù    O Santa Regina Aide-moi
date mi forza per ù ritornu    Donne-moi la force de revenir
Passata à moi giuventù    Ma jeunesse est passée
Cercu in ù cielu e stelle    Et je cherche dans le ciel les étoiles
Chì seguiteranu a miò strada    Qui guideront ma route
Fine a ù miò paese, fine a ì meì    Jusqu’à chez moi, avec les miens
Speranza é sole di à miò vita, Maria,    Espoir et soleil de ma vie, Marie
Aspetami aspetami    Attends-moi.

 

Tu n’as pas su ; tu n’as pas su dire, n’as pas su faire. Tu as fui sans vraiment savoir pour quoi. La peur de l’inconnu ? L’appréhension d’une vie qui se referme ? Tu es parti pour partir sans savoir si tu pouvais rester.

Les semaines s’étaient écoulées, sereines ; ruisseaux paisibles, caresses de regards frais d’amours jeunes et sans contraintes. Le bruissement des feuillages éclairés de nos attentes se mariait à l’eau claire des montagnes. Nous nous aimions. Nos rires faisaient écho aux chants cristallins de cette nature protectrice. Tendresse et plaisir, effusions harmonieuses quand nos corps complices se lient et se délient comme autant de musiques sur les gammes des émotions transcendantes. Nous nous aimions. Nos corps se cherchaient, se trouvaient, s’abandonnaient dans une liesse qui n’a d’égal que la lumière faisant l’amour à l’oiseau qui s’envole.

 

 

 

Il l’a aimé comme jamais il aurait pu imaginer aimer. Il avait cru aimer souvent. Avec elle il s’avait ce qu’aimer veut dire. Sur ses rives lointaines, le parfum du maquis, la douceur de sa peau, ses mots à peine murmurés, son souffle au creux de lui posé sur son épaule, sa corse, son pays, ses moments de vie purs et intenses bouleversaient son cœur, troublaient son esprit défaillant, perdu dans les contradictions de son départ. Tout ici le ramenait vers elles. Pourquoi ? Pourquoi ce départ ? Tout ici le ramenait invariablement vers elles, séduisantes, captivantes. Captif, captif de ces beautés inconditionnelles il est parti pour un autre ailleurs.

 

 

Première lettre :

« Je ne sais pas, je ne sais plus ce qui m’attire, me retient et me pousse vers ces contrées inconnues. Ici ma vie est vide de toi. Je vois encore, toujours présentes en moi, nos côtes s’éloigner, laissant dans la mer les trainées de nos amours si chaudes en mon cœur. Marie, vita méa, la peur est mon quotidien, la peur d’un bonheur impossible. […] Basgji. Ti tengu cara »

Romain voulait en savoir plus, et il restait figé sur ces derniers mots « Je t’aime ». Ce peut-il qu’aimer est partir ? Il s’échappa dans ses rêves

 

Les arbres s’accrochent aux formes arrondies ; la pierre leur dispute le sommet érigé.

Par-ci par-là courent des courbes lisses et son regard s’attarde sur la lumière passante. Émoi de sa solitude chercheuse de bonheurs. Son cœur habitué lui murmure « laisse faire » : son sourire se dessine comme un voile qui se lève. Ses yeux guident ses pas mais non pas son esprit. Son esprit est volage et ses mains décidées. C’est alors, qu’au-delà des vallons, d’un soleil déchirant, se dessine sa vie. Elle trace autour de lui tempêtes et calmes plats. Il ne peut supporter ce qui n’appartient pas aux choix ou bien à lui. Il donne pour donner, pour vider son sur moi trop lourd, trop lourd à porter, à porter seul en lui.

« Il ne me connaît pas et je le connais peu et il n’est pas à moi et voudrais être son fils ». La distance qui sépare deux choses ou deux êtres peut ne pas exister au-delà des montagnes. Mer enneigées, arbres flétris, quand saurez-vous le jour, le moment, la seconde ou bien l’immensité qui se fera si courte, petite, indéfinie: l’inaccessible alors sera à sa portée: le bonheur de l’aimer.

 

Marie Dominique LUCIANI

ISBN9782746681576
Il était une fois.
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